Les alpes en Alpine

En route avec Carlos Tavares

 

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C’est au sommet du mythique col du Turini que nous avons rencontré Carlos Tavares, Directeur Général délégué aux Opérations ou « numéro 2 » de Renault, qui jouait les gentlemen drivers en participant au Rallye Monte- Carlo historique au volant d’une Alpine A110. Et pour cause, ce passionné de sport automobile est derrière la renaissance d’Alpine annoncée il y a quelques mois.

Le Rallye Monte-Carlo historique vient de se terminer, et vous l’avez terminé à la…

Carlos Tavares Soixante-quinzième place.

Sur quelque 320 concurrents. Rappelons que les rallyes historiques se courent sur la régularité. On choisit une moyenne, haute ou basse, et on doit s’y tenir. C’était votre premier historique ?

C.T Oui. Premier Monte-Carlo, premier historique, première course en Alpine, première course en A110, première course en pneus cloutés et première course avec Jean-Pascal. Mon co-pilote Jean-Pascal Dauce, le Chef de l’Ingénierie et des Projets d’Alpine.

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si vous pilotiez cette année une Alpine A110. Car le quarantième anniversaire du triplé Alpine au Monte-Carlo 1973 coïncidait avec l’annonce de la renaissance d’Alpine, dont vous avez été l’artisan. Comment a démarré cette histoire ?

C.T C’est parti d’une discussion que j’ai eue à Noël 2011 avec un de mes amis, membre de mon équipe compétition. Il m’avait offert un livre sur l’histoire d’Alpine. J’ai lu le bouquin, et je me suis dit que je pouvais faire quelque chose pour relancer cette marque sportive. Par passion de l’automobile, du sport automobile, et surtout de la marque Alpine. Et aussi par passion pour Renault, car je pense que Renault, en tant que groupe automobile, mérite d’avoir une marque sportive. Comme vous le savez, l’une des grandes difficultés aujourd’hui, c’est d’avoir une marque qui a déjà une certaine valeur, pour ne pas partir de zéro. Ça faisait donc totalement sens de re- lancer Alpine puisque la marque a encore une très grande notoriété et une très grande va- leur. Il suffit de voir le prix de vente de véhicules A110, dont la valeur résiduelle est supérieure à celle d’une Ferrari. Ça n’arrive pas souvent pour des véhicules du groupe Renault. La marque est donc une vraie pépite, et on se devait de la relancer.

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On assiste effectivement à une certaine tendance nostalgique, avec les youngtimers, le succès des rallyes et courses historiques en général, Lotus F1 Team qui joue sur sa livrée historique. Toute cette esthétique qui nous ferait parfois nous croire dans ce clip de Robbie Williams où il joue le coéquipier de Jackie Stewart, dont le style garde toujours un fort attrait aujourd’hui. Vous trouvez que c’était mieux avant ?

C.T C’est vrai, je trouve cela très intéressant.
Il y a une soif, une espèce de romantisme lié à ces périodes-là, où l’automobile était complètement reliée à la liberté. Moi qui ai fait beau- coup de rallyes du championnat d’Europe dans les années 1985 à 1990, je me souviens que quand on partait pour une semaine de reconnaissances, pour faire le Rallye de Madère, par exemple, on faisait cinq passages sur les spéciales, du vrai bonheur. On passait sa journée
à tourner le volant, à freiner, on s’arrêtait ad- mirer le paysage, discuter avec les paysans du coin, les gens des villages, c’était absolument fantastique. C’était de la liberté, des environnements extraordinaires… tout ça pour préparer une épreuve où l’on se lâchait à fond. Donc cette époque, où il y avait encore une grande liberté de mouvement, attire les gens aujourd’hui parce qu’ils se sentent probablement dans un environnement beaucoup plus confiné, structuré, encadré. J’observe avec intérêt ce romantisme de retour vers l’historique, que je ressens moi-même. C’est vrai du Monte-Carlo historique, mais ça l’est aussi du Goodwood Festival of Speed ou de Pebble Beach. Il y a énormément d’événements qui sont des succès, sur le même créneau visant à faire revivre les racines des grandes marques automobiles.

Ce monde automobile au style un peu sépia et saturé était aussi plus accessible, non ? Notamment au niveau des coûts.

C.T Incontestablement. Quand j’ai commencé la compétition automobile avec mon Alfa, c’est moi qui ai soudé mon arceau dans la voiture. J’ai fait ma première course en T-shirt avec une vague ceinture de sécurité… En fait, notre société, l’être humain, veut toujours plus de confort, plus de sécurité, ce qui nous conduit à un schéma de règles qui va en s’épaississant, en se complexifiant. On a quand même tendance à se dire que lorsque l’on avait un espace de liberté qui était plus important, il y avait des plaisirs qui étaient plus profonds et plus naturels. A l’inverse, on ne peut pas nier que le fait qu’il y ait plus de contraintes améliore la sécurité et le confort.

Cette Alfa, c’était votre première voiture ?

C.T Oui, une Alfa-Romeo Alfasud Sprint !

Ce style n’apparaît finalement que par le prisme du temps passé… Vous y êtes sensible, au style ? Au sens large !

C.T A l’époque, il y avait peut-être moins de contraintes aérodynamiques, et surtout probablement plus de liberté donnée aux designers. On le voit, l’Alpine A110 est remarquable parce qu’elle a des proportions quasi-parfaites. Ce coup de crayon très tendu ne pénalise pas la fluidité de la voiture. Il y a du caractère qui est exprimé. C’est exactement ce que nous essayons de faire avec Laurens van den Acker : redonner un grand espace de liberté aux designers. Ce qui ne plaît parfois pas aux ingénieurs, qui peuvent dire qu’on va les obliger à faire des choses compliquées. Il faut arriver, au niveau du choix des acteurs qui travaillent ensemble, à trouver cet équilibre. Je crois que c’est un point sur lequel les dirigeants des grandes entreprises automobiles doivent œuvrer. Il faut trouver des gens qui aient une empathie suffisamment élevée pour mettre leurs égos de côté et travailler à créer de belles choses. Il y a un triangle d’or sur le- quel le choix des gens est primordial : le pro- duit, le design et l’ingénierie. Il faut que les patrons de ces trois entités s’entendent très bien, avec une grande humilité et une grande ouverture d’esprit, mais aussi la conscience que s’ils travaillent bien ensemble, ils feront des choses remarquables. C’est ce recentrage sur le produit, sur l’expression de la passion, que j’essaie de recréer au sein de l’entreprise. La nouvelle Clio est un tournant de ce point de vue, et tous les modèles qui vont suivre vont porter le recentrage sur le produit.

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Le style de l’Alpine A110-50 que vous avez conduite en marge du Grand Prix de Monaco en 2012, était plus proche d’une voiture du Mans que de l’héritage rallye d’Alpine. Ce- lui-ci prédomine quand même dans les esprits, bien que l’A110 Berlinette ait couru au Mans… Vous n’avez pas l’impression de vous être un peu éloigné du style originel, même si l’on sait que ce concept très proche de DeZir était destiné à prendre la température pour éventuellement relancer Alpine ?

C.T Ce fut un moment plein d’émotion de conduire l’A110-50 sur le circuit de Monaco et je me suis appliqué à ne pas la mettre dans
le rail ! Pour ce qui est du design, les gens de ma génération, qui n’est pas la vôtre, n’ont pas ce centrage exclusif sur le rallye en ce qui concerne Alpine. Ils ont un équilibre presque à 50-50 entre le Championnat du monde des rallyes 1973 et les 24 Heures du Mans 1978, avec l’Alpine A442B. C’est vrai que l’A110-50 a un design qui évoque plus le circuit que le rallye, je vous l’accorde. Elle est très large, très basse, elle a été construite sur la base d’un châssis de Mégane Trophy. Mais c’est étonnant que vous me disiez ça, parce que les gens qui m’en parlent croient pour une bonne moitié que c’est celle-là qu’on va fabriquer, dans le sens où c’est celle-là qu’ils veulent. Mais c’était effectivement un exercice de style, pour annoncer que l’on commençait à étudier la possibilité de relancer Alpine. Une certaine prise de risque, mais c’était le bon moment.

Où en est le design de la future Alpine, qui devrait sortir d’ici deux ans ?

C.T : Nous y passons beaucoup de temps avec avec Laurens van den Acker, et nous avons bien avancé. On doit avoir accompli environ 50 ou 60% du chemin.

On pourra peut-être la voir en 2014, alors ?!

C.T Non, surtout pas. Vous comme moi n’allons pas mettre de contraintes en terme de dé- lais sur les ingénieurs, car ce que l’on veut avant tout, c’est une sacrée bagnole ! On a attendu vingt ans pour relancer la marque, on n’est pas à trois mois près. Il faut que la voiture corresponde à l’attente suscitée. Tant qu’on ne ressentira pas cette émotion, on re-commencera. Mais déjà le premier coup de crayon est exceptionnel, tout comme les pro- portions. Une fois par mois, nous nous réunis- sons avec Laurens van den Acker autour de la voiture, dans un grand studio de design complètement vide. Et nous échangeons.

Alpine va renaître en joint-venture avec Caterham. Des puristes des deux constructeurs crient au scandale. Quel est le deal ?

C.T C’est très simple. Un deal qui vient d’un constat que ni Caterham, ni Alpine ne peuvent construire des business-plans rentables en portant seules le ticket d’entrée d’une voiture 100% nouvelle. Si j’essaie de justifier l’investissement sur les seuls volumes d’Alpine, même si elles sont vendues à un prix relativement élevé, je n’arrive pas à boucler l’équation économique. Caterham, c’est le même problème. J’ai constaté que les deux marques ont un po- sitionnement similaire, avec des voitures puissantes, légères et agréables à conduire. Donc je suis allé voir Tony Fernandes en lui disant qu’il me semble qu’étant dans la même situation, peut-être pouvait-on s’aider mutuellement. Nous avons donc créé cette joint-venture à 50- 50 pour pouvoir partager les coûts de développement. La plateforme sera commune, les réglages différents, ainsi que les designs.

Quelle est votre marque de voitures préférée ? Ou quelle était-elle avant Renault ?

C.T C’est une question qu’on me pose sou- vent, et je suis toujours embarrassé pour y répondre. En fait, ça fait trente ans que je pratique le sport automobile, et j’ai appris assez rapidement à dissocier ce qui relève du sport de ce qui relève de l’automobile au sens strict. Lorsque vous roulez en sport auto, que ce soit en rallye ou sur circuit, et que vous éprouvez cette sensation magnifique d’essayer d’aller vite en maîtrisant la machine, vous considérez que sur la route, c’est assez obsolète voire désuet de chercher à aller vite. Donc sur la route, je roule plutôt lentement car justement j’ai cette possibilité de chercher à aller vite en course. Donc mes voitures préférées, elles sont en deux catégories très distinctes : les voitures de course et la catégorie des non voitures de course. Pour ces dernières, j’apprécie la stéréo, le confort, la position de conduite, l’autonomie de la voiture. Pour les voitures de course, il n’y a qu’une chose qui importe, c’est le rapport poids/puissance. Pour ça, j’ai trouvé l’engin de mes rêves puisque j’ai le bonheur de piloter une GP2, équipée d’un V8 de 4 litres et 620 chevaux pour 600 kilos. Le rapport poids/puissance est donc inférieur à 1.

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Oui mais là, vous avez noyé le poisson pour ne pas répondre à la question ! Alors disons, la voiture la plus stylée de tous les temps selon vous ?

C.T Je pourrais vous répondre facilement l’Alpine A110, mais j’en cherche une autre…

Vous n’avez donc pas un avis très arrêté sur le sujet…
C.T Non, il est rare que je m’enflamme pour une voiture. L’A110, c’est vrai que j’ai du mal à lui trouver des défauts.

Quelle est votre définition de la mobilité ?
C.T C’est la liberté ! C’est d’abord la possibilité de se déplacer à sa guise, avec le moins de contraintes possibles. Etre capable de surmonter tous les obstacles qui se présentent devant vous – que ce soit une montée, une descente, un col, une route large, une route étroite, la neige, pas la neige. C’est la liberté.

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